Une silhouette parmi tant d’autres, le regard un peu perdu, marchant sans but et sans raison dans les rues d’une ville qui n’était pas la sienne. Une métamorphe, sans destination précise, ayant une pause entre deux petits jobs, elle marchait tranquillement avec un sandwich dans la main vers on ne sait où. Peut-être avait-elle simplement envie de marcher ? Enfin, des fois, ça arrive, l’impression que quelque chose doit arriver et que l’on doit marcher, marcher, mettre un pied devant l’autre, s’arrêter ne devient qu’une possibilité trop lointaine pour y penser tout de suite. Manger son sandwich tranquillement, pas de pression, la vie ici est plus tranquille qu’elle ne l’aurait cru. Le ciel était un peu nuageux mais des rayons de soleils se perçaient un chemin jusqu’à son visage qui les accueillait avec joie, savourant le contact sur sa peau douce. Les rues étaient de plus en plus bondées et c’est difficilement que progressait la jeune métamorphe à présent. Jouant des coudes pour avancer, protégeant son sandwich coûte que coûte, son estomac ne lui aurait pas permis cet affront.

La vie dans otherside se calmait tranquillement, rien de si surprenant ne lui était arrivé, quelques avances mal placées de gens un peu étranges avec des ailes un peu menaçantes et des rencontres inusitées, des nouvelles insultes dans son répertoire, quelques mollusques trouvés après des heures et des heures de traques intenses dans la vase, la boue, les algues, pour quelques malheureux écrevisses, mais l’honneur de chasseuse de Kiara fut sauf. Enfin, une proie et enfin, un meurtre !! Ce fut sauvage, sanglant, la boue s’élevait en un écran autour d’elle alors qu’elle s’acharnait sur la petite bête vicieuse, sa queue fouettait le sable, projetant des débris jusqu’à 3 mètres aux alentours, ses aiguillons étaient redressés et prêt à l’emploi, sa bouche grande ouverte n’attendait que le moment de se refermer sur le mollusque et d’un coup… SBAM ! ELLE L’A EU !! Les algues déracinées témoignaient de l’âpreté du combat, mais l’éclat dans l’œil de la raie témoignait quant à elle de la satisfaction retirée de cette première chasse fructueuse. Ses dents broyaient avec délice la carapace, sa langue se délectait de la chair qui fondait dans sa bouche, son estomac se crispait d’impatience à l’idée de recevoir le tout.

À cette idée, le même éclat se raviva dans sa prunelle et elle mordit férocement dans son sandwich, en arrachant un bout un peu trop gros pour elle et en essayant d’avaler, s’étouffa pathétiquement avec un bout de tomate. Les larmes aux yeux, elle toussait en tentant vainement de sortir l’intrus de sa trachée mais rien n’y faisait, bien calé dans l’orifice qui menait au poumon, il refusait catégoriquement de sortir malgré tous les efforts que prodiguait la pauvre Kiara. Les passants commençaient à lui jeter des regards énervés, mais pas un ne s’arrêtait pour l’aider malgré ses regards suppliants. Chaque inspiration ne faisait qu’empirer son état, mais elle ne pouvait pas tousser indéfiniment, sans reprendre son souffle ! Une panique sinueuse s’emparait de son esprit, une panique primaire venait de lui souffler de rentrer dans un endroit calme… Une boutique au bord de la rue, la porte grande ouverte, l’invitait à se réfugier en son sein et c’est sans grande hésitation que Kiara s’engouffra, une main autour de sa gorge et l’autre sur son ventre, à deux doigts du black out.

Les choses ne semblait pas sur le point de s’améliorer pour Kiara, cette mesquine tranche de tomate bouchait toujours sa trachée et elle n’avait même plus la force de tousser. Décidément, ca n’allait pas bien pour elle. Elle tentait de reprendre une grande respiration pour pousser l’intrus, mais comme de raison, ca ne se passa pas comme prévu. En fait, on peut remercier le ciel que ca ne s’est pas passé comme prévu. Une jeune femme passa par la porte et en la bousculant, le diabolique morceau de tomate sortit enfin de sa gorge et elle se laissa tomber à terre, remerciant le ciel d’avoir mis cette maladroite sur son chemin. Ou plutôt, de l’avoir mis sur le chemin de la maladroite. Sa respiration était un peu sifflante, mais elle était bien vivante et heureuse de l’être.

Un tapis ? Vraiment ? Péniblement, elle se retourna comme une crêpe et toisa le plus férocement possible qu’elle put la jeune femme qui venait de lui parler. Le résultat ne fut pas très convaincant, mais au moins elle a essayé ! Non mais, elle vient de lui sauver la vie, ca ne lui donne pas le droit de la traiter de tapis ! Repoussant ses cheveux d’une main distraite, elle se releva tranquillement en respirant comme une asthmatique qui vient de finir une crise. Peut-être que la phrase de la jeune femme n’était que de l’humour mal placé mais il reste que ce n’était pas gentil. Enfin, du point de vue de Kiara qui venait de passer à deux doigts de la mort par suffocation, c’était franchement frustrant de se faire dire qu’on va la prendre pour un tapis. Quoi, en plus de l’avoir ignoré, regardé de travers pendant qu’elle était aux portes de la mort, il faudrait en plus que les gens s’essuient leurs pieds sur elle !! Non mais oh, ca suffit l’exploitation!

S’époussetant un peu, elle la regarda de nouveau, les lèvres pincées.

« Je ne suis pas un tapis, juste une femme qui vient de passer à deux doigt de mourir. »

La respiration toujours difficile suite à cette aventure, c’était bien les seules paroles qu’elle pouvait lui adresser. Elle n’avait pas encore rencontré beaucoup de gens, les contacts humains s’étant résumés à un ange, ses patrons passager et… c’est tout. Les voisins de palier qui ne la salue même pas ne compte pas, pas plus que les clients qui ne font que la regarder de haut pendant qu’elle balaie les salles, les cuisiniers qui la considèrent comme un mobilier pendant qu’elle fait la vaisselle, ça non plus ne compte pas. Voici donc la deuxième personne en ce monde qui ne lui parle pas par obligation. Enfin, ce n’était pas des plus amical comme première phrase, mais on fait avec ce qu’on peut, pas vrai ?