Aleerah somnolait, allongée dans des draps de soie, son sommeil était agité et la jeune femme commençait à se mouvoir dans le grand lit. Ses yeux s'ouvrirent mais son visage demeura inexpressif. La Paresse se leva et contourna son lit avant de se diriger vers la porte de son loft. On ne sait quelle force la poussait à avancer de cette façon. Son ombre fantomatique traversa la ville pour venir s'engouffrer dans la forêt.

Nue, les pieds salis par la terre, elle continuait à marcher, lentement, sans se soucier du regard des êtres qui la dévisageaient. Son rêve lui montrait une nuit étoilée et c'est ce qu'elle avait devant les yeux. Les arbres, faiblement éclairés par la lune devenaient plus envoûtants qu'en journée. Les animaux s'enfuyaient en galopant en sentant son aura malsaine venir perturber le calme de la forêt.

Le somnambulisme est maintenant un état mieux considéré des humains, mais en passant sur Otherside et en devenant le Pêché de la Paresse, Aleerah a du faire face à cet inconnu, décuplé par son rang. Ses crises peuvent durer jusqu'à plusieurs heures alors qu'elles durent 30 minutes maximum pour un humain. Elles peuvent être calmes comme très violentes, ne suivant pas de schéma précis. Aleerah ne se souvient jamais de ses crises et il arrive parfois qu'elle se réveille au beau milieu de nulle part.

La jeune femme s'avança dans les bois jusqu'à déboucher sur un lac. Elle n'était jamais venue là auparavant et elle ne pourrait pas vous dire ce qui l'avait poussée à venir ici. Elle s'avança jusqu'à la rive et s'assit juste à côté de l'homme. Son expression resta toujours la même, elle ne fit aucun geste envers lui, comme si elle ne l'avait pas remarqué puis s'allongea, posant ses mains sur son ventre et s'endormit.

Aleerah s'était rendormie paisiblement mais ce n'était qu'une question de minutes avant qu'elle ne se réveille. Il lui arrivait souvent de faire des crises, celles-ci la menant la plupart du temps à des états de confusion et de désorientation, mais depuis le temps qu'elle vivait sur Otherside, elle essayait de se faire à ce nouvel inconnu afin d'en tirer profit.

La langue glacée du vent contre sa peau nue la fit frissonner, la sortant lentement de son sommeil. Les yeux toujours fermés, l'air toujours aussi calme, elle commença à prendre conscience de son environnement extérieur. La température si basse de l'air avait été remplacée par une douceur infinie, enveloppant son corps dans ses langes fraîches. Une odeur marine vint titiller son odorat, lui faisant froncer le nez. La jeune femme n'avait pas l'habitude d'aller se promener vers le lac, le lieu étant infesté de bestioles en tout genre, créatures qu'elle n'avait pas trop envie de côtoyer.

Le lieu semblait calme, mais elle avait quand même l'impression qu'elle n'était pas toute seule, comme si quelqu'un était en train de veiller à ses côtés, mais elle sentait aussi une autre présence, plus malveillante que la première. La Paresse se demanda si ce n'était qu'une illusion, un lieu créé de toutes pièces par son esprit fertile, mais elle avait comme une certitude au fond elle, comme si elle savait que tout cela était vrai.

Comme pour confirmer ses dires, elle sentit une main délicate effleurer son front. Ses yeux papillonnèrent et furent tout de suite happés par deux pupilles blanches. Elle ne put détacher son regard du sien, relevant même légèrement la tête comme pour le voir de plus près. Elle se reprit et cligna des yeux avant de se redresser.

-Euh...

Elle regarda autour d'elle, le lac se dressait comme une immensité devant elle. Elle n'avait jamais pris le temps de l'observer comme il le devait. Mais en examinant la surface de l'eau, elle aperçut deux pupilles qui la contemplait fixement et elle avait l'impression qu'elle allait devenir un repas sur pattes d'ici quelques instants. La jeune femme se recula alors, toujours assise sur le sable et toucha le genou du jeune homme du bout des doigts.

Son attention se recentra sur l'homme. Malgré sa position assise, il avait l'air grand. La faible luminosité de la lune ne lui permettait pas de pouvoir le décrire en détail, mais il avait un corps magnifique, elle avait envie de le retoucher pour vérifier qu'il était bien réel. Aleerah avait envie de croquer sa peau halée, comme s'il était une friandise, mais elle se retint, difficilement et finit par regarder ailleurs.

La jeune femme ressentait un fort désir envers l'homme qu'elle venait tout juste de rencontrer mais elle se rappela qu'elle était en position de faiblesse, seule avec lui, nue, dans ce lieu inconnu. Elle ramena alors ses genoux contre sa poitrine, passant ses bras autour, faisant comme si rien de tout cela ne la perturbait

Aleerah ne put tenir plus longtemps son regard éloigné du corps du jeune homme et elle observa ses mouvements dans les moindres détails. Ses mouvements étaient fluides et libres, et il se trouvait en territoire Métamorphe. Aleerah conclut qu'il faisait partie de ce clan. Cela faisait alors de lui un ennemi. La jeune femme ne voulait pas penser à ça. En temps normal, des plans machiavéliques auraient fleuri dans son esprit, mais là rien. Elle ne pensait qu'au corps de l'homme qu'elle venait de rencontrer.

L’Illusionniste plonge son regard dans le sien dès qu'elle le peut, la seule façon pour elle de ne pas dévier vers sa bouche fine, sa peau halée, ses muscles virils ... Et voilà c'était fait, son esprit avait dérivé et ses yeux avaient suivi le mouvement, suivant la ligne de ses pectoraux puis ... Non ! Elle devait se reprendre. Elle releva donc les yeux et fixa l'immensité glacée de son regard.

Lorsque le beau Métamorphe toucha sa peau, un frisson la parcourut, totalement en contradiction avec la chaleur perceptible de son corps.

- Il manquait deux étoiles dans le ciel se soir, heureusement pour moi, elles se sont cachées dans vos yeux.

De légères rougeurs apparurent sur ses joues. Personne ne lui avait parlé ou avait agi de cette manière si ... belle avec elle. Un léger sourire se déposa sur ses lèvres alors que ses yeux pétillaient doucement. Ses rougeurs s'accentuèrent lorsque ses doigts effleurèrent délicatement son visage.

- On m’appelle Teck. Ne vous inquiétez pas, vous n’avez rien à craindre ici

"Rien à craindre" ... quelle était alors la créature dans le lac qui la regardait d'une manière si spéciale ? Aleerah décida de faire confiance au dénommé Teck en se disant que c'était juste son imagination qui lui avait joué des tours. L'Illusioniste attrapa la main du jeune homme pour pouvoir garder un contact avec sa peau chaude. Ce contact permit à Aleerah de se détendre, malgré la léger malaise qu'elle ressentait en se trouvant dans un endroit inconnu, qui plus est sans démon pour la protéger.

- Aleerah ...

Comme toutes les fois où la jeune femme n'était pas complètement maître de son corps, le "r" roula sur la langue, faisant paraître son accent slave. Ses yeux se fermèrent un instant et les rougeurs disparurent ainsi que ses légers tremblements.

- Excusez-moi... mon nom est est Aleerah

Cette fois-ci le nom fut parfaitement prononcé. Un sourire gentil prit place sur ses lèvres, ce sourire était surtout là pour cacher son trouble. Elle ne savait pas trop s'il fallait qu'elle parte maintenant, et elle n'avait pas trop envie de traverser la rue nue et consciente, ou si elle restait, mais cette fois le fait qu'elle soit sans défenses la dérangeait un peu.

Le jeune homme ... Teck ne semblait pas connaître sa race, encore moins son statut au sein du clan des Démons. Cette forme de non-identité enleva un poids important à ses épaules, en effet, il y avait moins de chances que cette nouvelle connaissance ne l'attaque ou pire.

La Paresse pencha sa tête sur le côté, les yeux toujours happés par les siens...

Aleerah était complètement envoûtée par ses yeux et par sa voix. Son regard était totalement absorbé par le jeune homme qui se tenait devant elle. La jeune femme se demanda ce qu'il faisait lorsqu'il se releva, lâchant alors sa main et s'éloignant d'elle. Une vague de tristesse l'envahit alors, elle ne voulait pas qu'il parte, qu'il la laisse seule. Elle était en train de se dire qu'elle devrait alors partir lorsqu'il revint vers elle.

Elle se lança une claque mentale, elle ne devait pas s'attacher à un inconnu à ce point. Mais elle ne pouvait rien y faire. Tous ses muscles se détendirent lorsqu'elle sentit sa chaleur contre son dos nu. Elle se laissa aller contre lui, posant alors sa tête contre son épaule.

"Merci"

Aleerah avait l'habitude des températures fraîches, mais là c'était sûrement un peu trop froid pour elle.
Ses mains se glissèrent sur les siennes comme pour l'empêcher de partir. C'était si agréable de pouvoir se blottir contre un corps si chaud. Un sourire se déposa sur ses lèvres et ses yeux se fermèrent. Instinctivement, ses doigts commencèrent à se mouvoir sur le dos de ses mains, traçant de petits cercles imaginaires.

La jeune femme se rendit compte qu'elle était complètement impuissante et qu'il pourrait très bien la tuer en un tournemain. Mais, au fond d'elle, elle avait l'impression qu'il ne le ferait pas. Elle ne savait d'où venaient ces convictions si inhabituelles pour elle, mais décida de les suivre car elles semblaient vraies.

Aleerah resta un petit moment blottie contre son torse, nichée entre ses bras chauds. Elle aurait très bien pu s'endormir, mais elle n'avait pas envie d'échanger les bras du jeune homme contre ceux de Morphée. Elle bougea contre lui, se plaçant de côté. Sa tête se retrouva alors dans le creux de son cou. Inconsciemment, elle savoura son odeur masculine et marine. Cette rencontre était-elle vraiment en train de se produire ?
Le cadre était idyllique. La fraîcheur de la nuit obligeait les deux habitants d'Otherside à se serrer l'un contre l'autre. La lune, elle, dévoilait leurs corps enlacés, mais les ombres créées par les rayons, eux, cachaient certains détails de leur peau nue. Enfin le lac silencieux, semblait se taire afin de laisser les deux jeunes gens en paix.

La démone finit sa contemplation par le métamorphe qui la tenait contre-lui, laissant son ouïe, son toucher et son odorat le décrire. Tout d'abord, son oreille contre sa carotide pouvait sentir le moindre de ses battements de cœur, mélodie magnifique pour elle. Aleerah était complètement enveloppée par la fragrance de Teck, l'apaisant. Enfin, son épaule nue contre son torse chaud pouvait apprécier la douceur de sa peau halée. un soupir heureux s'échappa de ses lèvres.

Aleerah ouvrit les yeux et observa le lac qui leur faisait face. Les deux pupilles éclatantes étaient toujours en train de les observer. Aleerah en était sûre, cet "être" n'était pas le fruit de son imagination. La jeune femme l'observa plus en détail. Elle ne voyait que le haut de sa tête qui se trouvait à la surface de l'eau. Ses yeux flamboyants l'empêchaient de regarder autre part. Elle se sentait comme aspirée par cette force et souhaitait la combattre à sa façon.

La maîtrise des ombres, pouvoir de sa race, était accrue par son second pouvoir, le contrôle des illusions. La jeune femme avait pis du temps à contrôler cette nouvelle capacité. Mais cent ans ne sont rien dans un monde comme Otherside. Chaque occasion était bonne, aux yeux de l'Illusionniste pour apprendre de nouvelles choses à propos de son pouvoir. Elle avait maintenant peu de difficultés à créer des illusions aux habitants lorsqu'ils n'étaient pas trop nombreux ou trop éloignés. Mais elle n'avait jamais essayé sur des animaux... enfin, la créature était peut-être un Métamorphe et donc son esprit serait plus facilement manipulable.

Les esprits des Démons sont les plus faciles à manipuler pour elle. Les démons sont les créatures qui exercent le moins de résistance, c'est surtout perceptible au niveau des vices, mais c'est le cas pour toutes les choses qui se présentent devant eux. Ils n'ont aucune ou très peu de résistance psychique. Il était peut être possible aussi que leurs esprits soient plus facilement pénétrables par Aleerah car elle est de la même race. Quand aux Anges, ces êtres opposent une grande résistance à son pouvoir et cèdent difficilement aux illusions. C'était sûrement dû aux caractéristiques morales que leur inculque leur race. Quand aux Métamorphes, la jeune femme n'avait encore eu l'occasion de tester son pouvoir sur cette race particulièrement.

C'était là l'occasion de s'en occuper. Son regard n'avait toujours pas quitté celui de la bête aux yeux de feu. Aleerah se concentra sur la créature et essaya faire marcher la première phase de son pouvoir. C'est assez difficile à expliquer, mais on peut dire qu'elle tente de se "mettre en contact" avec l'être lui faisant face. Cette phase fonctionne plus facilement lorsque les deux protagonistes se regardent dans les yeux. La Paresse se concentra ensuite sur son propre corps, tout en gardant un œil sur la créature. Elle imagina chaque cellule, chaque veine, chaque muscle qui la composait afin de pouvoir créer un double d'elle-même. Car, ne connaissant pas les peurs de la créature qui se tenait devant elle, elle comptait user de l'effet de surprise pour voir si son pouvoir fonctionnait.

Son cœur battait vite et fort et son corps se réchauffait à mesure qu'elle puisait dans ses forces. La tâche était ardue mais elle ne voulait pas abandonner et força encore plus sur son corps bien malmené. Elle utilisait, à ce moment là, beaucoup plus de forces qu'elle ne le ferait dans un cas normal. Sa tête commençait à lui tourner alors que sa parfaite réplique émergeait de son corps. Sa vue se brouilla et elle ne put voir la réaction de l'être victime de son illusion. Elle tenta de refaire surface mais c'était impossible. Ses yeux se fermèrent, tous ses muscles se relâchèrent et son cœur reprit un rythme normal alors que sa copie s'évanouissait puis disparaissait.